Au coeur des terres d’Europe, non loin du Danube qui d’Ouest en Est structure l’espace, Vienne se dresse assemblant des palais blancs et ocres, vestiges de l’anarchie des guerres d’état : imposer son pouvoir par les armes, les alliances, les mariages, les arts, les théories et la gastronomie.
Au plus-que-présent, à Vienne c’est par l’intermédiaire du pouvoir que l’on parcours le temps et l’espace.
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- Conservation : se situer dans ses quartiers, dans ses palais
- Anticipation : comprendre les généalogies et les mécènes
- Engagement : gouter puis dévorer, entendre puis écouter, voir puis lire, marcher puis prendre la calèche (reiten)
- Lâcher-prise : immaginer dans un café à des discussions de partage de territoire
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- Les palais

Les palais sont imposants. Il se ressemblent, sont blanc écarlates, qu’habritent-ils ? Des apparats imposants. Pour imposer son pouvoir, il faut de la place.
- Les cafés

Café Schwartzenberg – La Gloriette – .Café Mozart – Café Central. « Le mélange » est la spécialité : expresso et crème. Etrange nom, car rien n’est mélangé en fait. L’apparence de partage pour cacher une aristocratie bien présente.
- Schonbrunn

François-Joseph disait travailler jusqu’à l’épuisement de 5h à minuit. Pendant ce temps, Sissi – anorexique – s’ennuyait, terrorisée par une belle-mère marâtre. Les dorrures dégoulinent, le rouge brille, la nourriture est riche.

Les fleurs sont délicates, la marqueterie est oppulente. Le salon du million assemble comme des papiers découpés des miniatures orientales sublimes ; c’est là que Marie-Thérèse imposait sa vision du monde : marier ses filles pour agrandir son pouvoir.

Etrange vis-à-vis entre le palais et son bâtiment de triomphe ou comment contempler son pouvoir.
- Mumok

Le musée d’art contemporain. Rétrospective de Medardo Rosso, un sculpteur italien « impressioniste » qui laissait ses visages littérallement enterrés. Quelques affiches et une installation du Velvet Underground. Vienne aurait-il oublié son pouvoir artistique ?
- Musée Leopold

Le musée Léopold consacre le Vienne du début du 20ème siècle. Au sommet de son pouvoir, tout était possible, tout se rendait possible. Les pouvoirs artistiques, scientifiques et politiques se concentrent et le pouvoir se théorise comme un Art global. D’un côté les affiches se durcissent noircissant leur caractères, de l’autre les peintures perdent la ligne et se colorisent, exacerbées. Les figures de Schiele épineuses et sanginolantes – prémonitoires.

Les formes géométriques côtoient l’organisme des couleurs – un design torturé.
- L’équitation

C’est la reprise du lundi matin : quelques pas de côté sans synchronisation (un peu déçevant). Les chevaux qui ont permis à Vienne d’imposer son pouvoir en Europe sont respectés ; ils habitent toujours les lieux.
- Le Belvédère

Résidence d’été – encore un belvédère du haut (supérieur) et un du bas (inférieur) : contempler son pouvoir.

Les tableaux n’ont pas habité ici – c’est maintenant Klimt qui habite les lieux – ou plutôt son baiser. Un beau parcours dans l’atmosphère feutrée et dure de la fin du 19ème siècle.

Les têtes de Messerschmidt. Atteint de troubles psychiques, il n’a pas pu enseigner son Art.

Au rez-de chaussée, entrant dans la salle, ce Christ. La plus vieille pièce du belvédère (12ème siècle). Quelle émotion – mystique, mémorable, …
- L’Opéra

L’opéra a été complètement détruit en 1945. Il a été reconstitué. De nombreux salons modernes et anciens – un mélange pour panser les plaies du passé. Ici Vienne rayonne.
- Musikverein

La salle Baroque où tout brille et claque – comme cette ouverture d’un concerto de Haydn.
- Le Café Mozart

Les pâtisseries fantasques d’halloween et le café pistache du café Mozart, qui n’a jamais pris de café ici. La crème atteint ici son sublime – toutes les crèmes.
- Le Café Central

Au Café Central, réhabilité en 1986 après des heures sombres, le piano, nostalgique, résonne sous les arches. La chantilly fond dans la bouche comme ce café Biedermeier. 45 minutes de queue dehors à ne pas regretter. Puis un tour en calèche à travers la vieille ville et ses pavés.
- Konstantin Fillipou

Konstantin Fillipou – un chef grec qui décline la mer dans toutes ces formes – au coeur de l’Europe. Des mélanges audacieux, des textures subtiles : Belon, Maquereau, Crevette rouge, sardine et moules, Caviar, anguille, Saumon, Sandre, Coquilles Saint-Jacques…

Des vins bien pensés – dommage qu’ils soient français, l’Autriche regorge aussi de trésors.
- Le shnitzel

L’escalope Viennoise est une institution : fine et légère.
- Quelques expériences mémorables

Ce samedi dans la Cathédrale Saint-Etienne – entendre les répétitions de choeur. Dehors, l’odeur du crotin, la fine pluie et le brouillard intense ; dedans, l’odeur des cierges, des manteaux humides et la légère moisissure de ces poteaux centenaires. La messe.

Les 4 saisons Vivaldi dans ce temple de la musique baroque. Un orchestre synchrone et un violon qui claque et virevolte. En multiphonie, un panorama de cordes vibrantes de gauche à droite, et la salle en caisson de bois qui lie tous ces instruments entre eux. L’expérience d’être dans une caisse de violoncelle.

Au café Mozart, la crème du mélange est épaisse. En Sardaigne, j’avais gouté un cappuccino crémeux – la différence ici est l’expresso intense qui dort au fond que l’on frôle de peu à chaque cuillière de crème. La frontière gustative.

Au Musée Leopold, ce fond d’affiche pour la Secession (art nouveau viennois). Les objectifs de l’époque : « Notre art n’est pas un combat des artistes modernes contre les anciens, mais la promotion des arts contre les colporteurs qui se font passer pour des artistes et qui ont un intérêt commercial à ne pas laisser l’art s’épanouir. Le commerce ou l’art, tel est l’enjeu de notre Sécession. Il ne s’agit pas d’un débat esthétique, mais d’une confrontation entre deux états d’esprit. ». Un frisson me parcours l’échine : le manichéisme du pouvoir instrumentalisé par l’Art. Je retourne en 1902 et j’écris sur cette page blanche quelques mots pour orienter les pensées et le siècle à venir. » Les mathématiques sont-elles cosubstancielles au monde ? «

Ce tableau de Koloman Moser – sans traits noir – me rappelle les tableaux de Gérard Tranquandi où la couleur structure l’espace. Correspondance.

Boire une bière au soleil d’un trait est une toujours une expérience mémorable. Le rafraichissement.

J’avais 15 ans quand dans un magazine beaux-arts j’ai découvert ces têtes. Je les avais découpé et accrochée dans ma chambre – comme un trésor. Frappé par cette vision de l’humanité – l’horeur du clown. Ils sont tous dans une salle du belvédère, ils ne se regardent pas. Comme dans un asile – prostré dans leur grimaces. Perché.

Nous nous sommes embrassés, longuement. Ce baiser est touchant, voir tout le monde le photographier ou plutôt se photographier devant est émouvant. Tous ces kilomètres pour se photographier soit même devant un baiser. C’est un projet.

Sûrement la meilleure raison de venir à Vienne – je n’y reviendrai que pour lui d’ailleurs. Depuis que nous l’avons vu, je l’imagine souvent, seul dans le noir attendant. Depuis 900 ans maintenant dans cette position ; j’ai envie de retourner le voir, de lui parler, de lui demander comment ça va, de lui demander conseil. Je crois en cette image. Cette sculpture c’est toutes les bonnes facettes de l’humanité réunies : l’accueil, l’humilité, la résilience, le courage, la grâce, la paix, l’écoute active, …

En 1998 j’avais acheté un logiciel « Vue d’esprit » pour réaliser des paysages virtuels. Le ciel de Vienne était une de mes textures de ciel préférées. Et là, je le retrouve : un ciel haut, vaporeux et bleu intense.

Le Café Central. En janvier 1913, Freud, Trotski, Hitler, Staline et Tito fréquentaient cet endroit. Ils discutaient, prenaient des cafés, des patisseries, des bières … Quel effroi de s’imaginer dans ce lieu à la genèse des horreurs du vingtième siècle. Et si la bière avait été mauvaise ici, le destin du monde en aurait-il été changé ?

En calèche dans la vieille Vienne. Au chaud sous la couverture. Et puis les pavés et comprendre que tout déplacement était éprouvant pour les oreilles, le ventre et le corps tout entier. Rester en ville.

Passer en calèche devant la maison de Mozart. Le voir rentrer ici la nuit , légèrement titubant, ivre de musique, de notes et sûrement de vin.

L’escalope viennoise telle qu’on la servait à Stefan Zweig – pomme de terre, sardine et oeuf dur, airelles, avec du vin autrichien. Les nappes blanches, le service aimable – manque l’odeur du tabac. Le voyage temporel gastronomique.

Le sorbet violette à la Sissi – de l’eau plutôt que de la crème. Sissi avec l’aide de Romy Schneider a bien adouci l’empire béliqueux. L’innocente douceur de la violette.

Shrödinger est un artisan du plus-que-présent avec son chat mort et vivant il a démontré que le temps et l’espace sont la même facette de l’instant. Discuter avec Schrödinger sur la substancialité des mathématiques.

Au mumok, entendre dans un espace sombre « venus in furs » et me remémorer mes écoutes nocturnes de cet album dans la cave où j’essayais de salir le son de ma guitare et mon yaourt pour retrouver cette atmosphère. Le sous-sol.

Une installation planante au mumok et une sieste fantastique dans un canapé devant une vidéo cosmique.

A l’Opéra de Vienne, être parqué par Langue pour la visite guidée. Regarder les autres pays et se dire qu’on est jamais très loin d’un conflit, pour autant.

La Gloriette. Cette dame se lève et vient chanter à coté du pianiste de vieilles chansons. Qu’il était doux de siroter son mélange avec sa patisserie – en complotant.

Le bureau de François-Joseph. J’avais été impressioné par celui de Catherine de Medicis à Chenonceau. Au plus-que-présent, la surface d’un bureau est tout sauf plane – les plus grandes expériences y naissent.

Au coeur de l’assiete d’un chef grec en Autriche, je retrouve les Belon du finistère Sud – la gastronomie reste un des véhicules préférés du plus-que-présent.

K2000 – en rediffusion en Allemagne. Un message à Laurent, et nous revoilà plongé dans notre canapé à Chatenay.

C’est une image de mode. Ce coupé et ses deux chevaux protégés par une couverture devant la magnifique boutique Hermès. Des fois, la réalité dépasse le papier glacé des magazines.

A la maison de la musique, rentrer dans une pièce et se faire surprendre par ce compositeur – de cire.

Le 26 octobre est la fête nationale autrichienne. La police militaire, les chars, les avions et ses affiches de recrutement militaire – le silence, la fin d’une trompette. S’armer.

La grande rue commerçante et ses boutiques désormais mondiales. Seules subsistent maintenant la manière de les décorer. Ces grosses boules imposantes – des boules ou des bombes de Noël. La pression de Noël.

En repartant vers l’aéroport, comprendre que la puissante Vienne est nourrie par de lourdes industries.

Le parc du centre ville. Son architecture baroque et cette rivière à sec. Sous ce brouillard, une nostalgie bien germanique.