Bretagne – Finistère sud

Plusieurs découvertes lors de ce voyage en Bretagne.

  • Sur un bateau, l’espace et le temps sont distendus : les marées changent les hauteurs, les étoiles bougent, les vents sont redirigés par les voiles, les côtes fractales sont infinies.
  • Pour avancer, certains utilisent des cartes (anticipation et engagement) : l’espace devient dual (celui de la carte et celui parcouru).
  • La navigation en mer à la force du vent permet d’expérimenter la notion de vitesse apparente (vent au près vs vent arrière) : comment savoir finalement, si on avance, où l’on avance, où l’on est : le temps et l’espace sont confondus.
  • Pour aller à droite (tribord), il faut mettre le cap en face et virer : l’espace est tordu.
  • Les frontières sont multiples (mer/ciel, terre/mer, nuit/jour) : leur contemplation et leur parcours créent autant d’univers que de regards.

Quelques montages et commentaires

La mer a toutes les couleurs et toutes les apparences. La mer attire sans doute les hommes depuis longtemps car c’est un espace du plus-que-présent qui permet à chaque marin de se dépasser (dans l’engagement maritime, dans l’ennui des cabines, dans la contemplation céleste, dans la recréation de gestes bien terrestres). Sur mer, l’équipage fait équipe au présent – cela en rebute certains.


Faire son pain, pêcher son poisson, le cuire, tout cela sur l’eau. L’espace se construit avec le temps ; il n’est pas toujours nécessaire de le penser construit.


Sur mer, les repas sont comptés – l’avenir (ce qui va rester) et le passé (ce qu’on a emporté) doivent se sublimer pour tous. Dans ces endroits exigus, quelques astuces permettent de s’y retrouver : des vins (portes d’accès au présent), quelques aromates bien frais qui font écho à la terre et un travail d’équipe qui permet à chacun de se réaliser dans le moment du repas.


Dans le brouillard, on vire des bords, on distingue mal le ciel de la mer et de la terre. L’espace est confus. A petit vent, le temps se fige : l’expérience de l’arrêt. Dans ce moment, tout mouvement prend des allures de tempêtes, de grande nouveauté. Pour se mouvoir/s’émouvoir, il faut aussi s’arrêter regarder la brume.


Les cartes :
  • étrange représentation que de nous voir sur l’eau, à 0 mètre de profondeur, échoués dans Pont-Aven.
  • La hauteur de la mer évolue en courbe (1-2-3-3-2-1) accélérant dans les moments de transition : comme si le temps qui comptait était celui qui est plus que celui qui sera.
  • Les cartes anciennes et les assistants numériques : drôle d’expérience, de se mouvoir dans une carte bleue avec un téléphone connecté là ou d’autres compulsent livres, cartes et manipule compas et sextant pour le même résultat. Le monde connecté vs le monde embarqué.

La cabine de bateau au ras de l’eau, sous les voiles, dans une crique urbaine éclairée par un réverbère ; le hublot rongé par le sel. Allongé sur la couchette, je flotte et la mer si prêt me projette pour autant si loin.


Un gros bateau qui passe – très étendu dans l’espace et rapide dans le temps. Mon point de vue est étriqué. Je décide ce cadrage et ce montage. Découper les images dans l’espace et le temps et les reconstruire dans une seule : anticipation, conservation, lâcher-prise et engagement.


Nous rentrons dans l’aven de Pont-Aven, rapidement et l’espace est grand. Un montage permet de refabriquer des rives inédites et bien présentes. Reconstruire des espaces avec les mêmes espaces, voyager.


Des îlots acérés surnagent ; les vagues, au fur et à mesure les dévorent. Les traces du passé sont ici à coeur ouvert.


Au bord de la mer, les plages (sable, pierre, rocher, ..) pieds nus : le froid, le chaud, le piquant, le doux, l’humide, le sec, le glissant ; encore une carte à établir pour comprendre les liens entre ces mots et ces expériences. Le toucher du pied est une expérience sensible : le temps et l’espace s’y mêlent dans un micro-univers.


La recherche des « cochonets », de petits coquillages rosé. Sur ce banc de sable, il y en a des centaines, là où sur terre on cherche les quelques uns échoués. Pour bien les trouver, il faut avant tout les connaitre (le devant et le derrière) : cette activité nécessite de la contemplation et de la détermination.


Les astres de la mer : le soleil brûlant, le soleil couchant la lune et Mars son amie, le soleil levant et le phare au loin. L’aube, l’aurore, le midi, le matin : l’atmosphère dans toutes ces couleurs. Contemplation et engagement.


Le ciel change toute la journée, les nuages s’estompent, grondent, boulottent et l’immaculé céleste passe par tout un camaieu de gris et bleu. Le mouvement est aussi en l’air.


A terre, la Citadelle de Port-Louis et le Comptoir des Indes. Les hommes partent à l’assaut des mers espérant atteindre des ports lointains et ramener des épices. Le commerce pimente le présent – intensément – permettant aux hommes d’entreprendre de grandes aventures.


Le sentier côtier, frontière fractale entre les deux espaces. Dans chaque interstice se joue à la fois l’instabilité de la mer et la force de la terre. L’expérience de la frontière : vertige, ambition, audace, crainte. Si les côtes sont si variées c’est que le temps et l’espace y sont ici intimement sublimés. Baignade, château de sable, Amers.


Dans les terres et au bord des mers. Les hommes aménagent le territoire, récupère dangereusement les algues putrides, façonnent les champs. Le bord de mer est une expérience fascinante ; pas si étonnant qu’on y vienne en vacances pour y expérimenter des moments plus-que-présent.


Dans la terre, des chevaux habillés pour les protéger des insectes, des champs aménagés et un taillis infranchissable de ronces pour une nouvelle frontière entre le haut des côtes et le haut des plages.


A l’été 1888, Paul Sérusier (1864-1927), alors âgé de 23 ans, séjourne à la pension Gloanec de Pont-Aven, petite commune du Finistère prisée des peintres et notamment du maître de l’impressionnisme Paul Gauguin.
La peinture du jeune homme est alors académique, ainsi que le montre « Un intérieur à Pont-Aven », tableau d’un réalisme minutieux ouvrant l’exposition présentée jusqu’à fin décembre au Musée de Pont-Aven, et réalisé quelques semaines seulement avant « Le Talisman ».
Début octobre, à la veille de son retour à Paris, il réussit enfin grâce à l’entremise d’Émile Bernard à rencontrer Gauguin. Celui-ci, intrigué par la personnalité du jeune artiste, l’emmène au Bois d’Amour, lieu d’inspiration des peintres séjournant dans la petite ville, propice à la promenade et à la rêverie.
Là, il explique à Sérusier sa nouvelle conception en matière de peinture. « Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon », lui aurait dit Gauguin. Le jeune homme s’exécute.
Il en ressort une esquisse qui oublie la perspective traditionnelle pour juxtaposer des couleurs franches tout en laissant entrevoir les principaux éléments du paysage représenté: un alignement d’arbres, un petit chemin, une rivière et un moulin.
Cette manière de peindre, proposée par Paul Gauguin et Émile Bernard, donne naissance la même année au « synthétisme », une nouvelle forme d’art dans laquelle on ne cherche plus à représenter les choses telles qu’elles sont, mais telles que l’artiste les voit, en privilégiant la perception visuelle à l’exactitude du rendu.
« simple planchette de bois »
« Le Talisman c’est une simple planchette de bois, mais qui a eu une énorme influence sur les artistes et notamment sur les Nabis (postimpressionnistes) », explique à l’AFP Claire Bernardi, conservatrice au musée d’Orsay, propriétaire du tableau et partenaire de l’exposition intitulée « Le Talisman de Paul Sérusier, une prophétie de la couleur ». [AFP 26/6/2018]

Après avoir vu les couleurs synthétiques, visite dans le bois d’amour de Pont-Avent ou effectivement les couleurs si fortes et l’atmosphère si douces permettent toutes les audaces.

One Reply to “Bretagne – Finistère sud”

  1. Très beau récit illustré, précis et incandescent, bouquet sensoriel chatoyant de souvenirs évanescents. A déguster au plus que présent et sans modération pour mieux digérer le retour, moins poétique, aux affaires du temps seulement présent.

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