Se coucher est un verbe pronominal du plus-que-présent mais ensuite, il s’agit de s’endormir, de dormir, rêver, s’éveiller, tomber de sommeil, somnoler, s’insomnier, se réveiller.
Tout d’abord les expériences classiques
S’endormir (volontairement)
- conservation : la conscience d’avoir les yeux fermés
- anticipation : relâcher le regard, prendre des respirations profondes, se retourner
- engagement : y voir glisser des étincelles, voir des couleurs dans le noir, regarder au loin les yeux clos, rester sur le dos un moment
- lâcher-prise : s’abandonner dans cette exploration et tomber dans le sommeil
Einstein disait « je dors peu mais je dors vite ». J’y vois là une expression qui décrit le mieux dormir ; une zone inconnue sans espace ni temps, le « vide du plus-que-présent ».
Si dormir est le zéro du plus-que-présent, rêver en revanche en est l’action la plus pleine. Le rêve toltèque en décrit bien l’univers.
- conservation : conserver son intégrité dans le rêve, ne pas mourir
- anticipation : garder la distance suffisante pour vivre l’histoire dans la durée, sans trop y réfléchir, sans se réveiller
- engagement : se remémorer un rêve et y retourner (l’évocation d’odeurs est un bon vecteur); dès que l’on rate une marche, rester dans l’escalier
- lâcher-prise : sans doute l’expérience la plus savoureuse, s’abandonner dans l’histoire et l’oublier !
S’éveiller. Si s’endormir est volontaire (à moins de tomber de sommeil), s’éveiller ne l’est jamais, cela est soudain : on débarque du sommeil dans un espace et un temps que l’on peut appréhender au plus-que-présent.
- conservation : repérer les lieux, les draps, la fraicheur ou la chaleur du matin, se retourner deux fois
- anticipation : s’écarquiller les yeux doucement, prendre une petite respiration, bailler, sentir la chaleur du soleil sur les paupières
- engagement : étirer ses jambes, les laisser tomber sur le rebord du lit et laisser son corps se lever sous l’effet de balance, s’asseoir sur le bord du lit, se relever dans son fauteuil
- lâcher-prise : et … refermer les yeux 10 secondes ; c’est le ré-éveil, la frontière entre deux états. Enfin, prendre appui sur ses mains et se lever, assez rapidement pour sentir ce déséquilibre, cette légère ivresse de l’atterrissage.
Maintenant, examinons des expériences plus engagées (tomber de sommeil, somnoler, les insomnies, le réveil matin). Situées entre la veille et le sommeil, ces verbes permettent d’explorer la frontière de l’espace et du temps. Comment ?
Tomber de sommeil : il faut veiller tard jusqu’à épuisement. Je pratique cela en regardant des films tard en repassant systématiquement les minutes que j’ai ratées me permettant de voir la profondeur de ma chute de sommeil (de quelques secondes à près d’une heure). Les chutes d’une heure n’ont pas grand intérêt car elles se noient dans le vide du dormir. Les chutes de quelques secondes sont plus enivrantes : le temps se dissout dans l’espace (le noir des yeux fermés).
- conservation – rester éveiller : yeux écarquillés, sourire forcé, se redresser
- anticipation – se voir chuter : sentir son cœur qui s’accélère au fur et à mesure des micro-réveils, cloche de la tête
- engagement : fermer les yeux et se dire qu’écouter suffira à ne pas dormir
- lâcher-prise : clocher la tête et la laisser en bas
Si tomber de sommeil est passer de l’état de veille à l’état de sommeil, somnoler c’est ne choisir ni l’un ni l’autre.
Somnoler : dans les interstices du temps. Sortir difficilement d’une sieste. J’ai aussi cette expérience de m’endormir au volant dans un rêve ; je n’arrive pas à garder les yeux ouverts, et à chaque fois que mes yeux se réouvrent je suis dans un autre endroit (voyager à vitesse infinie). Somnoler c’est pouvoir observer la surface du temps.
- conservation : ne pas bouger, surtout ne pas bouger
- anticipation : imaginer ce qui se passerait si on ouvrait les yeux
- engagement : alourdir ses paupières (faire semblant de ne pas pouvoir les ouvrir)
- lâcher-prise : laisser ses paupières retomber
Insomnie (s’insomnier) : tomber en éveil. Ce réveil soudain en pleine nuit, cette pensée obsédante, une angoisse du présent. Si au présent, l’insomnie est une course du temps vers le matin, au plus-que-présent, c’est l’ivresse de l’état de veille : la nuit blanche.
- conservation : se retourner et se retourner encore et encore, regarder le réveil s’emballer, fixer le plafond nerveusement, avoir la bouche qui s’assèche
- anticipation : tenter de résoudre un problème insoluble – devoir faire deux choses en même temps à deux endroits différents, se mettre dans des situations inextricables
- engagement : se lever et ne plus dormir, lire sur un écran en pleine nuit, avoir les yeux qui pétillent, sentir son ventre qui se noue
- lâcher-prise : épier l’aube, écouter les émissions de fin de nuit- les rediffusions, regarder un film très lent (Tarkovski), commencer un gros livre, blanchir sa nuit et vivre le bonheur d’être le premier levé
Au plus-que-présent, l’insomnie n’est pas ce qui nous empêche de dormir, c’est ce qui nous tient en éveil.
Le réveil matin ou le réveil forcé : chez moi, ce réveil est très violent et ceux qui ont tenté de me réveiller s’en rappellent – le réveil en sursaut – un transfert d’énergie d’un univers à l’autre. Au plus-que-présent, il faut savoir vivre cet éclair vous traverser.
- conservation : veiller assez tard pour être sûr d’avoir cet éclair
- anticipation : quelques heures avant l’heure du réveil, regarder le réveil et sentir que le sursaut va avoir lieu
- engagement : sentir le frisson parcourir tout son corps comme un électro-choc et son cœur battre plus vite
- lâcher-prise : laisser sonner ou rester les yeux fermés, en restant résolument de l’autre côté de la frontière
Au plus-que-présent, chaque frontière du sommeil est le lieu d’expériences uniques et merveilleuses. Il est sûr que les accords toltèques que nous avons avec le monde nous empêchent souvent d’y accéder (peur de ne pas dormir, complexe de trop dormir, rêves tabous, …). En pratiquant consciemment les 4 étapes du plus-que-présent (conservation, anticipation, engagement, lâcher-prise), il est possible de rompre certains accords très profonds et d’explorer ainsi ce nouveau monde.
Pour aller plus loin dans ces explorations :
- Le rêve lucide et l’Argument du rêve ou comment à travers les âges, on appréhende les rêves.
- « L’art de rêver. Les quatre portes de la perception de l’univers – Carlos Castañeda » où l’on apprend à franchir les différentes portes à la manière des chamanes.